FTA : Multiform(s), ou l’abstraction des corps par la danse

« Je me suis intéressée aux possibilités d’abstraction du corps humain en m’interrogeant

sur sa représentation. Quand on le regarde, est-il possible

de voir autre chose qu’un corps, d’oublier ce que c’est? »

Amanda Acorn

 

             C’est dans le prestigieux cadre du FTA que le théatre Espace Libre nous propose de découvrir la première pièce collective de la jeune et prometteuse artiste torontoise : Amanda Acorn. Un spectacle de danse proche des questionnements artistiques visuels, qui témoigne d’une grande qualité et d’une grande ouverture d’esprit.

 

Multiform(s), repris d’une pièce solo (Multiform) créée en 2014, à déjà reçu le prix de la meilleure mise en scène du festival SummerWorks, et promet de continuer à enchanter la critique.

Dans ce spectacle, comme dans la majorité de son travail, Amanda Acorn traite le sujet du corps dans son aspect le plus général. Elle étudie et utilise le dialogue entre les corps – ceux des danseurs avec le public, des danseurs entre eux ainsi entre les musiciens et les autres collaborateurs du projet. Mais sa recherche ne s’arrête pas là. C’est de dépasser le corps qu’il importe : l’utiliser pour le faire oublier.

 

Pour cela, Amanda Acorn utilise la répétition. Les corps sur scène répètent inlassablement un mouvement tout en ajoutant à chaque futur geste une légère dissonance par rapport au précédant. On retrouve les mouvements des danseurs qui se mélangent presque naturellement, tantôt très différents, tantôt s’utilisant, tantôt presque identiques, jusqu’à repartir chacun dans son propre univers. Ainsi, le spectateur « concentre son attention soit sur un détail du corps ou sur l’ensemble du tableau composé par les 5 danseurs, leur énergie, le son et l’environnement. (…) Il finit peut-être par oublier ce qu’il est en train de regarder».

 

Mais la grande richesse de ce travail tient sans doute à la méthode de recherche utilisée pour sa création, car « Il n’y a que deux mouvements imposés dans la chorégraphie, tout le reste est improvisé ». Chaque danseur a exploité ces gestes, seul ou en groupe, à chercher ses limites et ses possibilités. Les mouvements qui composent la chorégraphie proviennent ainsi d’avantage d’une émulation collective que d’une direction chorégraphique. Une fois la structure affirmée, les musiciens ont à leurs tous improvisé leurs sons dans ce même principe de répétition. La chorégraphe fait ainsi une très belle utilisation du collectif pour dépasser son propre univers et surpasser ses possibilités.

 

Dans ce tableau en mouvement qui nous est présenté, on comprend rapidement le lien avec le travail du peintre Mark Rothko, dont elle s’est grandement inspiré. Ces tableaux d’une grande richesse « qui ont un effet de vibration énergétique » sont le reflet d’une recherche sur la position, physique et mentale, de l’observateur face aux œuvres créées. Ses peintures transportent ainsi le spectateur dans un état émotionnel, comme le fait cette chorégraphie aussi transcendantale pour le spectateur que pour le danseur.

 

Et c’est au sein d’un grand carré blanc comme une toile encore vide, entouré des spectateurs, que vont évoluer les corps des danseurs, accompagnés par les musiciens et par un beau et subtile jeu de lumière.

Et bien que tout ceci ne semble jamais commencer, étant donné que tout est déjà en mouvement lors de l’entrée et l’installation des spectateurs, la fin, à la fois douce et directe, amène le public, dans sa nouvelle respiration, à reprendre son souffle en même temps que les danseurs, pendant la douce et silencieuse mise en place d’une pénombre qui a fait naître un tonnerre d’applaudissements grandement mérité, autant pour la performance que pour la qualité!

 

L’ensemble de cette création et comme une magnifique continuité et évolution de la recherche de Anne Teresa De Keersmaeker, chorégraphe belge qui a, entre autre, travaillé autour de la musique répétitive. Mais bien que le travail de cette dernière utilise le corps dans les mêmes schémas répété, et que les recherches des deux artistes se recoupent visuellement, elles s’éloignent dans le sens où la chorégraphe belge utilise le corps pour dévoiler la répétition, alors qu’Amanda Acorn utilise la répétition pour dévoiler le corps. En effet, elle cherche avec ses spectacles « à développer une conscience du corps plus émotionnelle que conceptuelle (…). [Et] vise ainsi à ce que les performeurs s’engagent humainement avec leurs instincts ».

 

Une création incroyable où le corps devient mouvement, à ne pas manquer!

 

 

Auteure : Louise Gros

 

Image de garde : © Yuula Benivolski

 

 

 

 

 

 

Liens :

 

Amanda Acorn : http://amandaacorn.com

Espace Libre : http://www.espacelibre.qc.ca

FTA : http://fta.ca

 

Le travail de quelques autres dont on parle :

 

Anne Teresa de Keersmaeker (vidéo) : https://www.youtube.com/watch?v=RTke1tQztpQ&list=RDRTke1tQztpQ&index=1

Mark Rothko : http://www.markrothko.org/fr/

 

 

Laisser un commentaire