En regardant passer les trains. Trainspotting au théâtre Prospero

 

« Les journalistes et les politiques extraient des mensonges de la vérité :

les romanciers doivent faire l’inverse. »

Irvine Welsh; Auteur de Trainspotting

 

Le théâtre Prospero, pour accompagner l’arrivée du printemps, nous propose de découvrir la version théâtrale d’un roman qui à traversé les océans et les générations : Trainspotting.

Ce premier récit de Irvine Welsh paru en 1993 s’inspire directement de son ancienne dépendance à l’héroïne. Auteur écossais originaire de la banlieue d’Édimbourg, il dépeint à travers son roman une jeunesse perdue des années 80 : une génération de transition qui ne se sent pas attachée au monde qu’on lui propose, asservit à l’Angleterre.

            « J’ai honte d’être Écossais, on est des criss de ratés dans un pays de ratés. J’reproche pas aux Anglais de nous avoir colonisés. J’haïs pas les Anglais. C’est des mange-marde. On a été colonisés par des mange-marde. […] On est gouvernés par des trous du cul pourris du câlisse. Pis tu sais-tu qu’est-ce que ça fait de nous ça ? Ça fait de nous des minables ! Les plus minables des minables. […] J’haïs pas les Anglais. Ils font c’qu’ils peuvent avec ce qu’y’ont. C’est les Écossais que j’haïs. C’est nous que j’haïs. »

Ce n’est pas la traditionnelle description d’une descente aux enfer qui nous est proposée, mais bien une description lucide et sans détour du quotidien des toxicomanes, dans la solitude et l’ennui, à regarder passer les trains. La description de la vie d’un groupe d’amis, unis par la dépendance, qui met en lumière ce qui peut pousser une personne et une génération à anesthésier sa vie afin de la rendre supportable.

Cette plongée dans l’univers enfermant de la dépendance, sans rien cacher des méandres qu’elle promet, a valu à son auteur autant d’admirations que de critiques virulentes. Ce dévoilement du cri d’une jeunesse, beaucoup préféreraient l’ignorer, et plusieurs le voient comme de la vulgarité et de la violence gratuite. Dans tout les cas, il ne laisse personne indifférent.

Cette œuvre marquante pour la jeunesse des dernières décennies, et qui le sera sans doute pour les générations à venir, a connu plusieurs adaptations : le film dirigé par Danny Boyle trois ans après la sortie du livre, ainsi que son adaptation théâtrale, moins connue, réalisé par Harry Gibson. Dans cette dernière, nous suivons les monologues de Mark Renton, qui nous transportent dans ses souvenirs et nous amènent à la rencontre des autres personnages du roman. L’évolution des personnages, leurs vies et l’univers dans lequel ils évoluent, permettent aux auteurs de dépeindre les années post-tatchériennes dans la banlieue d’Edimbourg.

 

« Il y a quelque chose de fascinant avec l’Ecosse, il existe une certaine filiation, ont est lié par l’histoire (…) »

 

En co-production avec Projet Un et le théâtre Première Avenue, le théâtre Prospero en collaboration avec le Théâtre La Bordée de Québec nous permet donc de redécouvrir cette œuvre mythique.

 

Noyée dans le son et les lumières stroboscopiques, entrecoupée par le passage de trains occupant tout l’espace visuel et sonore, la scène évolue autour d’un matelas placé en son centre, autour duquel gravite les personnages, et sur lequel ils se retrouvent inlassablement.

La scénographie et la perfection des décors occupent l’ensemble de l’espace scénique. L’utilisation du sol du théâtre, de la scène, ainsi que d’un espace au dessus de celle-ci agrandissent l’espace pour le rendre multiple et changeant, mais provoque en même temps un sentiment d’enfermement dans un espace ou les personnages gravitent sans jamais pouvoir en sortir. Impression renforcée par un phénomène de répétition apporté par le jeu, le texte et l’éternel passage du train.

Le texte, passé de l’écossais au joual par Martin Bowman et Wajdi Mouawad, nous plonge dans les richesses de l’argot québécois autant que l’œuvre originale nous fait découvrir l’argot écossais. Cette traduction renforce le rapprochement que les Québécois peuvent ressentir avec l’histoire des Ecossais, elle « (…) nous rapproche de notre réalité, on se reconnaît encore plus, ont pourrait sortir dans la rue et tomber sur des gars comme ça » nous confie l’interprète de Mark Renton.

Cette pièce écossaise, une fois traduite, est considérée pour certain comme la porte parole d’une jeunesse québécoise qui se reconnaît dans cette question identitaire. Une pièce écrite dans la même période que le fameux référendum qui soulevait des questions similaires. Une histoire qui se définit aujourd’hui comme le manifeste d’une jeunesse qui a dépassé les frontières de l’Ecosse.

 

« Au diable cette vie et le fait de l’avoir!

Je ne lis même pas le livre à mon chevet.

L’orient me donne la nausée. C’est une natte

Qui, dès lors que roulé pour nous, perd sa beauté.

 

Je tombe dans l’opium par force. Alors vouloir

Que je la passe au propre, une vie de ce genre,

Nul ne saurait exiger ça. Âmes honnêtes

avec vos heures pour dormir et pour manger,

 

Crevez donc! Mais au fond c’est bien là de l’envie.

Par ce que de tels nerfs me sont ma propre mort.
Ainsi donc, nul bateau pour n’emmener là même

Où je ne puisse rien désirer d’invisible!

 

Bah! Je m’en lasserais de la même façon.

Je voudrais un opium plus fort pour m’en aller

Vers des rêves qui en finiraient avec moi

En me flanquant au fond d’une fosse fangeuse. »

 

Fernando Pessoa – Opiarium (extrait)

 

 

La dernière scène nous transporte à l’intérieur du train, d’où l’ont voit défiler les vertes collines du paysage.

 

Auteure : Louise Gros

Image de garde : Théâtre Prospero

 

LIENS :

Le théatre Prospero : http://www.theatreprospero.com

Un entretiens avec Lucien Ratio sur son rôle : http://www.labibleurbaine.com/theatre/entrevue-avec-avec-lucien-ratio-pour-trainspotting-au-theatre-prospero/

Le site d’Irvine Welsh : http://www.irvinewelsh.net

 

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