« Les actes ne disent rien, les mots contiennent tout ». Marina, le dernier rose aux joues à L’Espace La Risée

 

 « Pour vivre, libéré de nos logis immondes.

Pour que l’on puisse avoir comme famille désormais :

Pour père au minimum, le monde,

la terre, au minimum, pour mère. »

Vladimir Maïakovski

 

C’est dans le lieu intime et chaleureux du théâtre de quartier l’Espace la Risée que nous pouvons découvrir, jusqu’au 5 mars, les mots mélangés de deux artistes : Michèle Magny, auteure de la pièce, et Marina Tsvetaeva, poète russe de la révolution et personnage principal de l’histoire. Cette dernière production de la compagnie Drôle de Monde poursuit un travail de 11 années sur la féminité. C’est dans ce cadre de Paroles de Femmes que nous pouvons découvrir ce « Poète. Femme. Russe. Sexe faible et artiste. [qui n’a] Rien pour intéresser ses contemporains, mais tout pour forcer l’admiration de ses successeurs. »

Marina, le dernier rose aux joues.L' Espace La Risée

Marina, le dernier rose aux joues.L’ Espace La Risée

Ce poète s’est placée, sa vie durant, sous le signe de la contradiction. Dans l’éternel refus, elle soutient, durant la révolution russe, l’armée blanche tout en dénonçant l’armée rouge. S’attirant ainsi l’inimitié de Staline, elle ne se verra pas publier en Russie, malgré l’admiration de beaucoup de ces compatriotes. En lien étroit avec le milieu du théâtre, elle fait alors des rencontres qui seront essentielles à sa vie. Ce sont ces rencontres que nous décrit la pièce en nous plongeant dans ses souvenirs.

Marina Tsvetaeva finit par partir rejoindre son mari, dans un exil qui durera 17 ans, dans différents pays d’Europe. Rejetée par les poètes français, et ne se sentant pas en accord avec le milieu de l’émigration russe, elle fait l’expérience d’une solitude qui ne fera que s’accroître au fil des années. Malgré son soutien à l’armée blanche au début de la révolution, Marina Tsvetaeva écrit une lettre d’admiration à Maïakovski, grand poète communiste de la révolution russe. Lettre qui sera interprétée comme un soutien au régime d’URSS et achèvera ses relations avec le monde de l’édition européenne. L’Europe devenant, aux prémices de la guerre, aussi peu sûre que la Russie, elle termine son exil en 1939 pour ne trouver une Russie faite que de portes closes, qui l’amèneront, en 1941, à se donner la mort à l’âge de 49 ans. Le poète serra réhabilité 14 ans plus tard.

 

« Ici, je suis un poète sans lecteur. En Russie, un poète sans livre. Ici, je suis inutile. Là-bas, je suis impensable. Et je suis indifférente à l’opinion publique. Je m’appelle Marina Tsvétaeva. »

 

C’est sous ces mots, interrogé par la police française pour l’accusation d’espionnage de son mari, que nous est présenté le personnage principal en débutant la pièce.

Dans l’espace anonyme d’une salle des pas perdus, Marina Tsvetaeva s’apprête à retrouver sa Russie. Elle se laisse alors transporter par ses souvenirs tout en rédigeant une lettre à une amie. Une lettre accompagnant un récit qu’elle lui confie, le récit de vie d’une de ses amie les plus chères : Sonetchka. Et c’est dans le grenier du poète que nous sommes alors transportés. Un grenier où les mots ont toute leur place, dans les livres, sur les bouches ou sur les murs, un grenier qui va permettre de lier l’amitié de trois personnes réunies par la passion du théâtre et de la poésie. Un monde en dehors du nouveau monde qui ce construit dehors et dans lequel aucun d’entre eux ne se sent exister. Un dernier salut avant l’exil. Tout en écoutant ses derniers instants en Russie, dans un décor confondu entre réalité et souvenirs, sur une scène divisée en trois lieux qui se mélangent, nous découvrons petit à petit qui est cette femme, poète et insoumise, seule, adulée et détestée.

 

Cette pièce inattendue pour cette compagnie qui s’est construite autour de l’art clownesque semble pourtant tout à fait à sa place. De la même façon que le clown révèle le drame à travers le rire, cette pièce relève la légèreté dans le drame. Et c’est teinté d’humour que nous est contée l’histoire de ces personnages cherchant à se garder, ensemble, de la solitude.

En résonance avec le personnage principal de cette création, cette compagnie indépendante et son théâtre se sont construient hors des circuits institutionnels québécois. Tout en préconisant une approche démocratique d’autogestion, ils ont à cœur de « donner espoir à d’autres jeunes troupes et [de] démontrer que les compagnies de théâtre indépendantes peuvent fonctionner en dehors des cadres financiers et administratifs du milieu institutionnel ».

 

Ce lien entre le raconteur et le raconté prend tout son sens quand ce personnage de Marina nous dit avant l’extinction des lumières du théâtre : « A votre monde insensé, il n’y a qu’une réponse : Refus ».

 

Auteure : Louise Gros

 

Image de garde : Marina, le dernier rose aux joues. Crédit L’Espace La Risée

 

L’Espace La Risée, 1er au 5 mars 2016.

 

liens :

 

Espace la Risée : http://www.droledemonde.com/larisee/

 

Lecture de la correspondance entre M. Tsvetaeva, R.M. Rilke et B. Pasternak :

http://www.franceculture.fr/emissions/pas-la-peine-de-crier/triangle-35-marina-tsvetaieva-boris-pasternak-rainer-maria-rilke-le

Lecture d’extrait de correspondance entre Tsvetaeva et Pasternak :

http://www.franceculture.fr/emissions/fictions-le-feuilleton/lamour-des-mots-une-correspondance-russe-110

 

 

 

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