Eldorado : l’Ibérie au Nouveau monde, Studio de musique ancienne de Montréal

Le 11 mars dernier, le Studio de musique ancienne de Montréal (SMAM), sous la direction du chef invité Dana Marsh, nous a proposé un voyage musical dans l’ancien système colonial, à la fois dans le nouveau et dans l’ancien monde, en Espagne et dans ses colonies américaines. Ce programme, même si à une plus petite échelle, nous rappelle plusieurs projets de Jordi Savall visant eux aussi à la formulation de récits historiques en musique. Ce dimanche, le SMAM nous a justement conduit musicalement à l’intérieur d’une séquence chronologique, racontant le passage d’un 16e siècle espagnol marqué par une « science polyphonique achevée » à un 17e siècle au nouveau monde, d’où on a écouté notamment, mais pas exclusivement, des compositions d’un style « rococo italianisant » pour des voix accompagnées d’instruments.

Dans la première partie du concert, répertoire pour des voix seules, la clarté de l’ensemble nous permettait de percevoir toute la beauté de la polyphonie. Les voix y étaient parfaitement équilibrées et le texte clairement articulé. Dans la deuxième partie, présentant un répertoire pour des voix accompagnées d’instruments, nous avions plus de difficulté à suivre le texte chanté. Cette difficulté s’est notamment manifestée au villancico de Juan de Araujo Ay andar a tocar a cantar a baylar, où non seulement il n’était pas possible de suivre les paroles, mais même leur articulation à l’intérieur des phrases chantées par des voix solistes n’était pas nette.

Le récit historique que nous a proposé la SMAM relevait, par ailleurs, de quelques imprécisions que j’aimerais souligner, surtout dans le cadre d’un concert donné par un groupe de musique ancienne dont l’interprétation, les techniques de chant et d’instruments sont historiquement informées. D’abord, au niveau terminologique. Le titre du concert parle d’ « Ibérie » et de « nouveau monde », la division du programme en deux parties préfère « ancien monde » et « nouveau monde », tandis que le texte distribué au public parle d’ « Espagne » et d’« Amérique latine ». Or, ces termes ne sont absolument pas équivalents. Ici nous nous limiterons à l’emploi problématique de la dénomination « Amérique latine ». Cette expression surgit en France pendant le Second Empire dans un moment où Napoléon III s’intéressait à exercer une influence politique et économique sur les pays récemment formés dans le continent américain, des pays, on le suggère à l’époque par la première fois, de culture « latine ». Cette idée, qui exclut d’ailleurs totalement les cultures autochtones et africaines fortement présentes dans le continent, est une invention de l’impérialisme français du 19e siècle. Dans le 17e siècle, l’« Amérique latine » n’existait tout simplement pas !

Une autre difficulté imposée par le récit présenté par le SMAM, c’est la division 16e siècle espagnol/17e siècle américain. En lisant le texte de présentation, nous comprenons l’idée d’une transformation ou au moins d’une réinterprétation de la musique dans le contexte colonial, mais il aurait été intéressant d’avoir des exemples de compositions de la métropole au 17e siècle pour pouvoir mieux comprendre cette différence. Il s’est montré, en effet, difficile de bien saisir « l’Ibérie au nouveau monde », tel que nous propose le titre, sans avoir écouté l’Ibérie à l’ancien monde dans le même siècle et dans le même style rococo italianisant.

 

Auteur : Diogo Rodrigues de Barros

 

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