Les Barbelés-Paris, Théâtre La Colline, jusqu’au 2 décembre

Fait en sorte que ton prochain n’ait pas à souffrir de ta sagesse. Domine-toi toujours. Ne t’abandonne jamais à la colère. Si tu veux t’acheminer vers la paix définitive, souris au Destin qui te frappe, et ne frappe personne.

Omar Khayyam

 

Une femme, dans sa cuisine, réalise que son monde s’effondre autour d’elle. Depuis quelques temps, on remarque des personnes atteintes d’une maladie nouvelle : des barbelés poussent dans leurs entrailles, depuis leur naissance, jusqu’à atteindre leurs bouches, à leur nouer la parole, jusqu’à la mort.

Elle est seule, dans sa cuisine, il lui reste quoi ? Une heure ? Une heure pour parler, penser, partager. Ses souvenirs et ses questions se bousculent dans sa tête, et elle nous les raconte.

Pourquoi moi ?

Quand sont-ils nés, ces barbelés ?

Qu’est-ce qui les a fait grandir ?

En épluchant compulsivement un tas d’oranges, elle tente de ne pas exploser, de profiter au mieux de cette dernière heure de parole qu’il lui reste, jusqu’à sa déchirure inévitable par les barbelés.

 

Que dire ? Que prononcer ?

Les Barbelés ©Simon Gosselin

« On parle pas de politique, on parle pas de sexualité, pis on parle pas de religion. Ok, fine, mais on parle de quoi, d’abord ? On parle de nos vies ? On parle d’amour ? Mais comment parler d’amour pis de nos vies sans parler de politique, de sexualité, pis de religion ? »

Mise en scène par Alexia Bürger, Marie-Ève Milot incarne pour nous cette femme enfermée par elle-même, prise par les barbelés. Cette femme, seule dans sa cuisine, qui nous fait découvrir le fil de ses pensées. En effet, Annick Levebvre se sert cette fois-ci, et pour la toute première fois, du monologue pour questionner le sens et la place de la parole. Par cette nouvelle forme d’écriture, Annick Lefebvre veut « parler du mutisme ordinaire »; celui que l’on nous impose politiquement ou socialement, comme celui que l’on s’impose, et qui nous force au silence. Qu’arrive-t-il si ce mutisme devient conscient ? Et si la parole nous est physiquement interdite ?

« À quoi ça sert de vivre si l’on nous prive, par ce qu’on s’est nous-même trop longtemps (in)volontairement privés, de l’usage de la parole – et, plus largement, de notre responsabilité de la prendre ? »

Entourée du texte, du décor et de tout ce qui construit une pièce de théâtre, la lumière, réalisée ici par Martin Lebrecque, prend une place tout aussi forte et importante que le jeu de l’acteur. L’utilisation des lumières dans un jeu si fort qu’elles nous déplacent d’une pensée à l’autre, met l’accent sur un aspect du théâtre qui, en tant que spectateur, ne requiert pas toujours notre première attention, en restant souvent au second plan, comme un doux accompagnateur.

Les Barbelés ©Simon Gosselin

C’est en trois chapitres que cette parole se questionne :

Dans un premier temps, « Ce qui s’active » illustre l’absence de prise de position quotidienne, par la découverte des barbelés dans la gorge du protagoniste. C’est réellement en train de lui arriver : les paroles qu’elle a refoulées toute sa vie lui nouent la gorge, elle sait qu’elles vont la tuer. Les barbelés ont poussé.

Cette prise de conscience amène la libération de la parole. Elle refuse de se taire. Les barbelés viendront, et apporteront avec eux « Ce qui se révèle ». La force de la colère libère toutes les censures. « Pourtant, c’est absurde de s’ennuyer de sacrer volontairement les pieds sur un terrain miné. Absurde de se penser dans un safe space, encerclé par celles pis par ceux qui nous ont vu grandir. Y en a tellement eu, des get together chaleureux où je me suis fermé(e) la gueule pour m’empêcher de fonder le Festival du Frette. »

Puis, la privation de parole conduit au dernier chapitre, celui de « Ce qui s’enfuit », où la privation de la parole amène celle de la vie, et où « la promesse d’un long silence retrouvé », dévoile l’importance de la respiration qui fait réfléchir, l’importance de la bonne utilisation des mots, et de la parole.

« On nous dit qu’il faut recycler le papier, le plastique, pis le verre mais que ce qui est mieux, encore, c’est de réduire notre consommation de tout ça. Peut-être que c’est aussi vrai pour le babillage inutile, les opinons-à-tout-prix pis les coups de gueule à répétition. Si on accepte de cesser de se répandre par longues logorrhées litaniques on va peut-être réussir à créer un espace pour les autres voix. Pour les voix des autres. Un espace pour celles qui, en ce moment, s’expriment en mineur. En sourdine. Pas du tout. Je me tais. Je me tais. Je me tais. »

Ces dernières paroles ont été suivies par de chaleureux applaudissement de la part du public, lors de cette première représentation. Présentée jusqu’au 2 décembre 2017, au Petit Théâtre du Théâtre de La Colline, à Paris, ce spectacle, créé à Paris traversera l’océan : les Québécois pourront le découvrir à leur tour au Théâtre de Quat’Sous à Montréal, dans la programmation 2018-2019.

La Belgique a également sa place dans la création d’Annick Lefebvre, qui présente la version belge de sa création J’accuse, mise en scène par Isabelle Jonniaux, du 21 novembre au 9 décembre 2017, à l’Atelier 210 à Bruxelles

Auteure : Louise Gros

crédit image de garde : ©Simon Gosselin

http://www.colline.fr/fr/spectacle/les-barbeles

Laisser un commentaire